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Louis …

 

Louis, toi mon fils bien aimé,

Je sens que la vie a décidé de m’abandonner là, au bord du chemin. Peut-être vais-je te retrouver dans je ne sais quel coin de l’univers. Peut-être pas !

Mes dernières forces sont pour te dire ces quelques mots d’Amour que je n’avais pas eu le temps de te dire quand tu es parti au front.

Le devoir, avaient-ils dit ! Le devoir qui t’appelait et auquel tu avais répondu dignement, en bon fils, en bel homme, en vrai citoyen !

Quand le tocsin a sonné, souviens-toi : nous étions à table. Ta mère avait comme chaque jour su amener la richesse de notre jardin dans nos assiettes avec cet Amour qu’elle nous portait, à moi, à toi, à ta sœur, son bon mari et leurs si beaux petits.

La veille, le facteur était passé et nous avait prévenu comme chaque semaine que « ça allait péter !» comme il disait avec son accent venu d’ailleurs. Nous avions fini par l’adopter tellement il était serviable, avec toujours un mot gentil. Et puis il lisait le journal et nous faisait part des nouvelles, les bonnes comme les mauvaises, celles du coin comme celles venues de loin.

« Ils ont tué Jaurès ! » s’était il écrié avant même de pénétrer dans la cuisine.

Notre bon facteur nous avait dit qui était Jaurès, ce défenseur des ouvriers, cet homme politique qui ne voulait pas de la guerre.

Le silence, notre silence, qui a répondu à son cri d’effroi, a eu raison des espoirs qui nous restaient pour que règne la paix. C’en était fini, nous avions compris.

C’est en silence que je lui ai versé ce petit verre de vin. Nos regards se sont  juste croisés un court instant. Il est parti en nous saluant à peine. Les mots ne pouvaient plus parler.

Il te fallait partir et tu es parti. La peur ne pouvait prendre le pas sur le devoir.

Tu es parti droit comme un « i », digne et grand, sans te retourner.

Nous t’avons accompagné du regard jusqu’à ce que l’horizon efface ta silhouette. Main dans la main avec ta mère, nous sommes re-rentrés. Je me suis assis en bout de table, elle s’est remise à la cuisine. Pas un mot n’a pu sortir de nos gorges serrées.

Je ne peux te dire, mon brave fils, que nous avons vécu. Nous avons fait semblant, guettant un signe, un message éclairant nos jours, faisant taire nos cauchemars.

Quand un matin, j’ai vu arriver notre vieux maire, habillé avec son unique costume, quittant son chapeau en m’apercevant, je me suis mis debout sur la marche. Ta mère est venue me rejoindre. Nous nous sommes serrés tous les trois, sans mot dire ! Il était trop tard !

Le temps a passé. Ta mère est partie. Ta sœur a été si bonne pour nous. Son mari, bon père, a tout fait pour que vive notre campagne. Les arbres ont bien grandi, la vigne est belle. Ta mère et moi n’avons pas manqué d’amour.

Mais comment vraiment vivre sans ce fils chéri ? Nous nous sommes laissés réchauffer par les rayons de soleil que la nature voulait bien nous offrir, ces rayons qui ont tout fait pour combattre le froid qui s’était abattu sur nous et qui n’a jamais disparu depuis ce matin funeste.

J’ai froid, mon fils. Tu nous as accompagnés tout au long de ces si longues années.

A l’heure de mon au revoir à la vie, sache, mon très cher fils, que tu n’as cessé d’être sur mon chemin. Je ne sais ce qu’il y a après ce virage que je sens là, juste devant moi. Mais c’est serein que j’avance encore. Nous ne nous sommes jamais quittés. « Encore un pas, papa ! » me glisses-tu dans l’oreille.

« Attends moi, mon fils, j’arrive !!! »

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